CHAPITRE 6

— Daoud ! criai-je. Sauvez-le ! Vite !

Du moins était-ce ce que j’avais l’intention de crier. Malheureusement, une vague déferla sur ma tête et seul un gargouillis prolongé exprima mes sentiments. M’agrippant d’une main à la planche, je battis des paupières pour chasser l’eau de mes yeux, juste à temps pour apercevoir les pieds de Ramsès s’enfoncer sous l’eau. Mon exhortation avait été inutile. Il s’était élancé au secours de Daoud dès qu’il avait été certain que j’étais saine et sauve.

— Tenez bon, Peabody ! beugla Emerson dans mon oreille gauche. Et fermez votre bouche, pour l’amour du ciel !

Ses mains me soulevèrent jusqu’à ce que mes bras fussent posés sur la surface rugueuse de la planche. Puis elles disparurent, et je compris qu’Emerson avait plongé à son tour vers les profondeurs obscures pour se porter à la rescousse de Daoud.

Et nous étions là, ballottant au gré des remous, alignés le long de la planche tels des dîneurs à une table. Avec un frisson de fierté patriotique, j’observai que tous les visages, bien que ruisselants d’eau et plâtrés de cheveux trempés, étaient aussi impassibles que ceux de personnes bien élevées lors d’une réception.

Puis un spectacle encore plus remarquable attira mon attention. C’était la tête de Daoud, les yeux toujours ouverts, la bouche toujours close, qui surgissait de l’eau. Puis apparurent ses bras, largement écartés. Emerson le tenait d’un côté et Ramsès de l’autre.

Daoud battit des paupières, regarda autour de lui et ouvrit la bouche précautionneusement.

— Qu’est-ce que je dois faire maintenant ? s’enquit-il.

Il n’y a pas beaucoup de navigation sur le fleuve après la tombée de la nuit, excepté un occasionnel touriste qui désire faire une promenade en bateau au clair de lune. À l’évidence, personne n’avait eu cette disposition romantique ce soir-là. Aussi, après une brève discussion, Ramsès commença à nager vers la rive. Sur ma suggestion, nous battîmes tous vigoureusement les jambes afin de prévenir refroidissement et crampes, et David entretint notre moral en donnant à Daoud sa première leçon de natation. La confiance de Daoud en nous était sans limites. Il suivit les instructions de David et découvrit, à sa grande joie, que son corps massif flottait aussi légèrement qu’une feuille. (Je ne comprends pas pourquoi il en est ainsi. Je crois que cela a quelque chose à voir avec la flottabilité.) Le voir allongé sur le dos, avec seulement ses orteils et son visage souriant au-dessus de l’eau, sa robe déployée autour de lui telles les ailes d’un oiseau en plein vol, était un spectacle dont je me souviendrais longtemps.

Bien que cela fût très divertissant, je fus soulagée d’apercevoir enfin une lumière qui approchait et d’entendre les cris de plusieurs hommes que Ramsès avait trouvés (ainsi qu’il me l’apprit par la suite) endormis dans leur bateau, et qu’il avait réveillés de façon quelque peu autoritaire. Ils nous hissèrent à leur bord et nous accostâmes bientôt la rive ouest, où nos voitures nous attendaient. Daoud déclina notre offre de l’emmener… en vérité, nous aurions été très serrés, puisqu’il prenait la place de deux personnes. Il s’éloigna, toujours souriant. Sa robe trempée claquait autour de lui et son turban, miraculeusement resté en place, ressemblait plutôt à un chou-fleur écrasé. Dès notre arrivée à la maison, Fatima et moi fîmes prendre un bain chaud à Evelyn, puis nous la mîmes au lit.

— Est-ce qu’elle ira bien ? demanda Walter avec inquiétude.

Il se pencha vers elle. Evelyn lui sourit d’un air somnolent, mais ses paupières s’abaissaient.

— Elle est gelée jusqu’aux os et épuisée, mais je pense qu’elle se remettra très vite, répondis-je. Mettez-vous au lit, vous aussi, Walter.

— Alors que vous autres allez vous réunir pour tenir un conseil de guerre ? (Il était toujours mouillé, mais il avait essuyé et chaussé de nouveau ses lunettes, et ses yeux brillaient.) Bonté divine, Amelia, qui pourrait dormir après une aventure pareille ? J’ai envie de parler. J’ai envie d’écouter. J’ai envie de… Bon sang, j’ai envie d’un whisky-soda !

— Et vous avez besoin de manger, dit Fatima d’un ton ferme. Il y a du poulet froid à la cuisine, du kunafeh, du pain, de la laitue…

— Très bien, Fatima, venez nous rejoindre. Ne réveillez pas Gargery, je ne suis pas d’humeur à ce qu’il me réprimande ce soir !

Fatima avait l’habitude invétérée de nous apporter à manger à n’importe quelle heure du jour ou de la nuit mais, dans le cas présent, ainsi que je le savais parfaitement, son principal motif était d’être la première à entendre le récit de notre frasque la plus récente, afin de pouvoir en imposer à Gargery le lendemain matin. Tous deux se livraient à une rivalité amicale mais intransigeante sur des affaires de ce genre.

Bien que nous ne fussions pas convenus de tenir un conseil de guerre, il était évident que tous partageaient l’opinion de Walter quant à sa nécessité. Les autres entrèrent, vêtus sans cérémonie de robes de chambre et de peignoirs, et nous attaquâmes à belles dents le festin préparé par Fatima. L’exercice physique intense aiguise l’appétit.

Tout en tendant à son frère le whisky-soda sollicité, Emerson fit remarquer :

— Vous semblez fort satisfait de vous-même, Walter. Puis-je savoir pourquoi ?

— Je n’ai peut-être pas été d’une grande utilité, dit Walter, mais au moins personne n’a eu à venir à mon secours.

Comme je comprenais parfaitement l’émotion qui se cachait derrière cette modeste déclaration ! Il avait redouté que sa vie sédentaire ne l’eût rendu inapte à l’aventure et que, dans une situation critique, il ne se montrât pas à la hauteur. Je lui souris affectueusement, mais Emerson, qui avait un esprit plus terre à terre que le mien, dit :

— J’espère que vous ne reprochez pas à Daoud d’avoir eu besoin qu’on vienne à son secours.

— Bonté divine, non ! Vous m'avez mal compris, Radcliffe. Il a été magnifique. Et pas une seule plainte au sujet de son bateau. C’est une perte financière considérable pour lui.

— Nous lui en achèterons un autre ou bien nous paierons les réparations, bien sûr, déclara Ramsès.

Après un petit silence, Lia dit :

— Parce que vous croyez que nous avons été responsables de quelque façon de la perte de son bateau ? Pourquoi n’aurait-il pas pu s’agir d’un accident, ou bien d’une vengeance privée ?

Les épais sourcils d’Emerson se haussèrent de surprise.

— Je considère comme acquis que ce… euh… geste était dirigé contre nous. Des actes de ce genre le sont habituellement. Il ne pouvait pas s’agir d’un accident. Quelqu’un a percé des trous dans le fond du bateau et les a bouchés avec de la terre glaise ou une autre matière qui devait se dissoudre peu à peu.

Fatima plaqua ses mains sur sa bouche et eut un regard horrifié.

— Qui ferait une chose pareille ?

— C’est bien la question, répondit Ramsès. (Il se renversa dans son fauteuil et alluma une cigarette.) Cette besogne a dû être accomplie peu de temps avant que nous arrivions sur le quai.

— La moitié de la population de Louxor connaissait nos faits et gestes, murmurai-je d’un air pensif. Toutefois, le scélérat a pris des risques. Si nous étions revenus une demi-heure plus tard, le bateau aurait été rempli d’eau. Une demi-heure plus tôt, et nous l’aurions pris sur le fait. Personne ne l’a vu ou entendu ?

— Il n’y avait personne à proximité, dit Ramsès. La plupart des bateliers étaient rentrés chez eux. Il n’a pas pris beaucoup de risques, vous savez. S’il n’avait pas terminé son travail avant notre arrivée, il nous aurait entendus à temps pour filer.

— Nous ne sommes pas des enfants ou des couards, dis-je. Nous devons regarder les choses en face. Je ne puis croire qu’un batelier de Louxor soit aussi rancunier ou assez stupide pour s’exposer à la colère de Daoud. Non, cet acte était dirigé contre nous, mais je dois dire que c’est une méthode plutôt aléatoire pour commettre un meurtre.

— Et quelque peu radicale, dit Emerson en mâchonnant le tuyau de sa pipe. Espérait-il nous noyer tous, ou bien en avait-il après quelqu’un en particulier ?

— Nous savons tous nager, fis-je d’un ton pensif. Je pense que ce n’est un secret pour personne.

— Tous excepté un, dit Ramsès. Et ce n’est un secret pour personne non plus.

— Daoud, grommela Emerson. Impossible ! Il n’a pas un seul ennemi au monde.

 

Naturellement, aucun de nous ne permit à notre mésaventure nocturne de perturber notre plan de travail. Les enfants prirent leur petit déjeuner dans leurs chambres, sous le regard bienveillant de Fatima et de Basima, aussi le nôtre fut-il rapidement expédié. Néanmoins, nous eûmes droit à une semonce cinglante de la part de Gargery, lequel avait gracieusement cédé la surveillance des enfants à Fatima. Il feignit de lui accorder une faveur, mais je soupçonne qu’il avait estimé que quatre bambins étaient au-dessus de ses forces.

— Il se passe quelque chose, déclara-t-il tout en versant du café goutte à goutte dans la tasse d’Emerson. Vous n’avez pas le droit de me le cacher, monsieur et madame.

C’était l’une des habitudes tout à fait exaspérantes de Gargery (il en avait plusieurs) de distribuer nourriture et boisson à dose homéopathique lorsqu’il était fâché contre nous. Emerson lui arracha la cafetière de la main.

— Je ne sais absolument pas ce qui se passe, Gargery, grogna-t-il. Et je n’ai pas l’intention d’en parler avec vous, en particulier en présence de…

Il hocha la tête et eut un clin d’œil exagéré pour montrer Sennia.

Pour une fois, elle mangeait son porridge sans protester. Ce matin, elle était très jolie et très soignée, ses cheveux coiffés en arrière et retenus par un ruban… et, observai-je avec un petit serrement de cœur, elle semblait tout à fait adulte. L’allusion d’Emerson ne lui échappa pas. Avec un sourire légèrement condescendant, elle fit remarquer :

— Je suis au courant, professeur. Fatima nous a tout raconté, à Gargery et moi, ce matin.

Gargery émit un grognement guttural. Il détestait apprendre quelque chose de la bouche de Fatima.

— C’est très étrange, continua Sennia. Qui voudrait nuire à Daoud ?

— Nous ne savons pas si ce geste était destiné à nuire à quelqu’un, répondit Ramsès. Tout ce que cet individu pouvait raisonnablement espérer, c’était que nous buvions tous la tasse. Le bateau peut être remplacé, et il le sera, Sennia.

Elle ne fut pas convaincue par ces paroles rassurantes.

— Daoud ne sait pas nager.

— Mais nous, si, insista Ramsès. Père et moi l’avons ramené à la surface en moins de trente secondes.

Il eut un petit rire et poursuivit d’un ton enjoué :

— Si tu l’avais vu, Sennia ! À aucun moment il n’a perdu son calme, ni la tête… ni même son turban !

— Cependant, c’était un vilain tour ! insista Sennia en se renfrognant. Qu’allons-nous faire ?

— Vaquer à nos occupations comme d’habitude, répondis-je. C’est notre tradition, Sennia.

— En serrant les dents ? s’enquit Sennia d’un air sérieux.

— Tout à fait, acquiesça David. J’espère que tu n’es pas inquiète, Petit Oiseau. C’était un vilain tour, comme tu l’as dit, mais personne ne pourrait te faire une chose de ce genre.

— Je ne suis pas du tout inquiète. Tante Nefret m’a appris à tirer à l’arc.

— Bonté divine ! m’exclamai-je. J’espère que vous ne pratiquez pas ce sport de nouveau, Nefret ! Autrefois, vous étiez très adroite, mais avec les enfants à proximité…

— J’ai fait très attention, Mère.

Nefret évita le regard critique de son mari. Je compris que c’était également nouveau pour lui, et que cela ne lui plaisait pas beaucoup.

— Hum, fis-je. Evelyn, vous êtes sûre de vous sentir capable de travailler aujourd’hui ?

Elle releva la tête et sourit.

— Bien sûr. Cela me plaît plus que je ne saurais le dire. Sennia, ma chérie, va chercher tes manuels scolaires et ensuite nous partirons.

Sennia ne protestait plus contre les cours que lui donnait Katherine, parce que, ensuite, il lui était permis d’apprendre le dessin avec Evelyn. Elle partit au trot et j’accompagnai Evelyn jusqu’à la véranda. Tout en mettant ses gants, elle me demanda, la mine grave :

— Pensez-vous que je devrais être armée, Amelia ?

J’eus envie d’éclater de rire et de la serrer dans mes bras, mais la solennité de son doux visage qu’encadraient ses cheveux argentés m’avertit de ne pas heurter ses sentiments. Avec une égale gravité, je m’enquis :

— À quelle sorte d’arme pensiez-vous, Evelyn ? Un pistolet ?

— Bonté divine, non, Amelia ! J’ai très peur des armes à feu et je blesserais probablement la personne qu’il ne faut pas. Un poignard, peut-être ?

L’idée de la douce Evelyn plongeant un poignard dans un corps humain aurait paru impossible à la plupart des gens. Cependant, je l’avais vue faire quelque chose de presque aussi incroyable, lorsqu’elle avait tiré quatre balles dans la poitrine d’un ruffian alors qu’elle croyait (à tort, Dieu merci) qu’il avait assassiné son époux. Des personnes douces comme un agneau peuvent être extrêmement dangereuses quand elles sont portées à une fureur démentielle en voyant les êtres qu’elles aiment exposés à un danger.

Elle vit mon expression. Elle s’exclama avec véhémence :

— Vous pensez que je ne pourrais pas réagir, si Sennia était menacée ?

— Je suis sûre que si, répondis-je, et je le pensais sincèrement. Mais, Evelyn, Gargery sera avec vous, et Abdul, le cocher, est un jeune gaillard robuste et dévoué. Il n’y a absolument aucune raison de supposer que Sennia court le moindre danger.

— Nous ne savons pas qui est en danger. Le savons-nous ?

— Eh bien… euh… non. J’ai trouvé ! Prenez l’une de mes ombrelles. Un jour, vous en avez manié une avec une grande efficacité.

— L’ombrelle-épée ?

De fait, ce n’était pas une question. Elle voulait vraiment l’emporter. J’entendis la voix de Sennia et j’ajoutai en hâte :

— Très bien, je vais la chercher. Mais pas un mot à Emerson !

Je n’avais pas besoin de lui recommander de ne rien dire à Walter. Il aurait fait un tas d’histoires. Bonté divine, pensai-je tandis que la calèche s’éloignait, nous sommes devenus un groupe bien belliqueux ! Evelyn avec une épée, Sennia et Nefret avec un arc et des flèches…

Je pourrais peut-être demander à Nefret de me donner également quelques leçons de tir à l’arc.

Et ne rien dire à Emerson.

 

 

 

Manuscrit H

 

— Enfer et damnation ! vociféra Emerson. Regardez-moi ça ! Cela va prendre des heures pour les mettre au travail !

Ramsès fit s’arrêter Risha à côté de la monture de son père. Une foule s’était formée à proximité du chantier derrière le temple. Au milieu, sa tête dépassant celle des spectateurs plus petits, il y avait Daoud. À en juger par ses gestes amples, il était évident qu’il relatait les événements dramatiques de la veille.

— Il a bien mérité d’être sur le devant de la scène, dit Ramsès avec tolérance. Non seulement il a perdu son bateau, mais il a failli se noyer.

Daoud entreprit de se noyer, coulant lentement et disparaissant aux regards. Un concert d’exclamations effrayées salua sa prestation, lesquelles se changèrent en acclamations lorsque sa tête réapparut brusquement à la surface et qu’il commença à agiter les bras.

Les autres, qui avaient suivi à une allure plus paisible, firent halte derrière eux.

— Que se passe-t-il ? demanda Walter.

Lia eut un petit rire.

— Daoud est en train de mimer son sauvetage. Je crois que ces mouvements de bras veulent dire qu’il nage. Laissez-le continuer, je vous en prie, c’est un excellent acteur !

— Bah ! fit Emerson.

Selim se tenait légèrement en retrait de la foule et il fut le premier du public captivé à les apercevoir.

— Le Maître des Imprécations est là ! lança-t-il. Il est temps de…

— Oui ! cria Daoud. Voici mes sauveurs ! Le Maître des Imprécations et le Frère des Démons, qui m’ont sorti de l’eau, et les autres, ces êtres courageux qui ont affronté la mort le sourire aux lèvres. Ce sont des héros !

Une grande acclamation retentit. Dissimulant son sourire derrière sa main, Emerson murmura :

— Ce brave garçon a le sens de la mise en scène ! Il a donné la réplique comme un acteur professionnel !

— Je me demande jusqu’à quel point son récit était exact, dit Ramsès tout en répondant de la main aux applaudissements de la foule. Bonjour, Selim. Désolé d’avoir interrompu le spectacle.

— Il était temps, répondit Selim en se renfrognant. Mon oncle vénéré est un fieffé menteur, mais… Est-ce vrai que quelqu’un avait saboté le bateau ?

Emerson était descendu de cheval. Écartant poliment deux admirateurs – les fils de Daoud – qui voulaient l’embrasser, il dit :

— C’est la vérité. Ramsès, vous voulez bien vous adresser à la foule, puisque Daoud l’a mise dans la disposition d’esprit appropriée ?

— Oui, Père. (Ramsès leva les mains pour réclamer le silence, et les visages se tournèrent vers lui, dans l’attente.) Mes amis ! Daoud vous a relaté ce qui s’était passé. Ce n’était pas un accident. Nous remplacerons le bateau, mais nous devons trouver qui a commis un acte aussi odieux. Nous vous demandons votre aide, en sachant que vous nous la donnerez, comme vous l’avez toujours fait.

Il se serait arrêté là, mais la vue du visage plein d’espoir de Daoud l’amena à ajouter :

— Bien qu’il ait été trop modeste pour le dire, Daoud est également un héros. Honorez-le pour son courage.

— Bien joué, mon vieux, murmura Nefret.

Elle ne l’avait pas appelé ainsi depuis très longtemps. Il se tourna vivement vers elle, mais elle avait déjà commencé à descendre de cheval. Les autres firent de même, et l’un des ouvriers emmena les chevaux vers l’abri que sa mère avait fait ériger avec des mâts et des morceaux de grosse toile.

— Dites aux hommes de se mettre au travail, Selim, ordonna Emerson.

Selim lui lança un regard sévère.

— Pas encore. Cette affaire est très grave, Maître des Imprécations. Nous devons parler de notre stratégie.

— Je n’ai pas de stratégie. Crénom, Selim…

Son épouse le poussa avec son ombrelle.

— Selim en a peut-être une, Emerson. Vous pourriez avoir au moins la politesse de l’écouter.

Avant que Selim pût répondre, ils furent rejoints par Bertie Vandergelt. Ramsès ne l’avait pas vu jusqu’à présent, mais à l’évidence il avait fait partie du public, car son visage arborait une expression renfrognée au lieu de son sourire affable habituel. Ôtant son casque de liège, par déférence envers les dames, il s’exclama :

— C’est épouvantable, professeur ! Vous auriez pu être tous tués ! Comment pouvez-vous traiter cet incident avec une telle légèreté ?

Emerson croisa les bras et le regarda d’un air furibond.

— Si vous ou Selim avez des conseils pratiques, je serai ravi de les entendre.

Ils n’en avaient pas. Pas plus que Daoud, mais il leur apprit que son fils, le capitaine en titre de l’embarcation qui avait coulé, s’était rendu à Louxor de bonne heure le matin pour voir si l’on pouvait renflouer le bateau, et afin d’interroger les autres bateliers.

— Pour le moment, nous avons fait tout ce que nous pouvions, déclara Emerson. Si quelqu’un sait quelque chose, Selim en sera informé. À présent, est-ce qu’il m’est permis de poursuivre mon travail ? Bertie, je veux un plan de la maison que nous avons fini de dégager hier. David, prenez les appareils photographiques. Walter, il y a plusieurs inscriptions sur la façade qu’il faut copier.

Selim osa s’attarder un instant encore.

— Est-il vrai que Daoud sait nager, maintenant ? Il s’est vanté que David lui avait appris.

— Il a peut-être besoin de quelques leçons supplémentaires, répondit David. (Son sourire amusé s’estompa.) Peut-être ferait-il mieux d’en prendre. Vous aussi, Selim.

— Je ne le pense pas, dit Selim en reculant. Je nage très bien. Eh bien, Maître des Imprécations, je vais rejoindre les hommes qui travaillent sur le site du temple.

Emerson s’éloignait déjà à grands pas.

— Ramsès ! cria-t-il.

Les ruines des structures nord du temple ptolémaïque présentaient un certain nombre de petits problèmes très délicats pour les fouilles. Il ne restait pas un seul mur debout, et ce n’était pas facile de déterminer avec précision où les blocs écroulés s’emboîtaient. Nombre d’entre eux avaient disparu, emportés par des bâtisseurs ultérieurs. Les fellahs et les archéologues à la recherche d’objets façonnés avaient creusé des trous plus ou moins au hasard, laissant des amas de débris et compliquant d’autant la stratigraphie. Emerson proféra une kyrielle de jurons particulièrement grossiers lorsque l’un des ouvriers découvrit une page d’un journal allemand, datée du 4 janvier 1843, à soixante-dix centimètres sous le sol. Néanmoins, les travaux de dégagement progressèrent et, plus tard dans la matinée, Emerson recouvra sa bonne humeur lorsqu’ils localisèrent un morceau de colonne portant le cartouche de Séti Ier. Quand ils s’arrêtèrent pour déjeuner, il considéra avec une satisfaction visible l’ensemble des objets mis au jour. Il y avait notamment des fragments de statues et de stèles.

— XIXe dynastie, déclara-t-il. Dédiées à Hathor.

— Elle ne cesse de se manifester, n’est-ce pas ? murmura David.

Pour une fois, ils s’étaient divisés en deux groupes d’âge, les parents assis d’un côté à l’écart et les quatre jeunes gens de l’autre. Ramsès lança un regard à son ami et serra les dents pour réprimer une réponse brutale. Il était devenu très susceptible lorsque l’on faisait allusion à cette déesse.

David poursuivit, avec un manque d’à-propos apparent :

— Demain, c’est la pleine lune, non ?

— Oui, et alors ? demanda Lia.

David finit son sandwich et, se penchant en arrière, s’appuya sur les coudes.

— Il y a belle lurette que nous n’avons pas fait de grande promenade au clair de lune. Les temples de Louxor et de Karnak sont des lieux magiques à la pleine lune.

Lia secoua la tête.

— Tous les touristes seront là.

— Alors que pensez-vous de Medinet Habu ou de Deir el-Bahri ? Ou du temple ici ? J’avais l’intention de le peindre.

— Cela me convient parfaitement, répondit Ramsès avec nonchalance.

Nefret décroisa les jambes et se redressa sur les genoux. Elle posa un regard dur sur David.

— Vous lui avez dit, n’est-ce pas ?

— Il m’a dit quoi ? demanda Ramsès.

— Je lui ai dit quoi ? s’exclama David. (Puis ses traits s’éclairèrent, et il éclata de rire.) C’est vrai, il n’était pas là l’autre matin lorsque ce garçon a parlé de gens qui voyaient Hathor apparaître dans son temple la nuit de la pleine lune. Allons, Nefret, vous ne croyez tout de même pas à ces histoires insensées !

— Personne ne me l’avait dit, déclara Ramsès.

Il s’efforça de garder un ton neutre, mais apparemment sans succès. Le visage de Nefret se rembrunit et elle évita le regard de Ramsès. Les deux autres demeurèrent silencieux, percevant une certaine tension dans l’air. Finalement, Nefret murmura :

— Excuse-moi. C’est stupide et superstitieux de ma part de voir un lien entre ces histoires insensées et ce qui t’est arrivé au Caire. Mais il n’y avait jamais eu d’histoires de ce genre à propos de Deir el-Medina auparavant, n’est-ce pas ?

— Pas à ma connaissance, répondit Ramsès. Nous avons tous entendu parler de ce chat géant qui hante Karnak et qui se change en une femme à peine vêtue, laquelle séduit les hommes puis les étouffe. Des légendes comme celle-là sont fréquentes, aussi n’est-il peut-être pas surprenant que Deir el-Medina en ait une à son tour. Je ne comprends pas, Nefret. Pourquoi ne voulais-tu pas que David m’en parle ? Est-ce que tu pensais que je viendrais ici, seul et en secret, pour me faire une opinion, et… Et quoi ? Me laisser séduire par une femme à l’esprit dérangé qui porte un déguisement ?

Elle avait tenté plusieurs fois de l’interrompre. La dernière phrase la fit se lever d’un bond, les joues empourprées.

— Je… Tu… C’est outrageant, Ramsès ! bredouilla-t-elle. Je n’ai rien pensé de la sorte ! Pourquoi es-tu aussi prompt à prendre la mouche ? J’essayais seulement de…

— Calmez-vous, tous les deux, dit David, placide. Sinon, tante Amelia sera ici dans une minute et voudra savoir pourquoi vous criez si fort. Vous feriez mieux de vous écouter l’un l’autre au lieu de vous lancer des accusations à la figure. À moins, bien sûr, que vous n’aimiez la dispute pour la dispute !

Nefret s’assit.

— Je n’aime pas me disputer avec Ramsès.

— Ah, c’est un comble ! fit Ramsès d’un ton brusque. Tu me reproches toujours d’éviter une franche discussion. Je m’efforçais simplement de…

Un éclat de rire de David l’interrompit.

— Serrez-lui la main, suggéra David, et dites que vous êtes désolé.

La mine penaude, Ramsès prit la main que Nefret lui tendait.

— Je suis désolé, dit-il. Est-ce de cette façon que vous vous comportez avec vos enfants rebelles, David ?

— Cela ne marche pas avec Evvie, répondit David.

— Elle ne s’excuse jamais, ajouta Lia.

— Moi, si, murmura Nefret en baissant la tête. En vérité, je suis incapable d’expliquer, même à moi-même, pourquoi je m’échauffe ainsi à propos de cette affaire.

— Je crois que je comprends, dit Lia. (Nefret releva la tête. Son regard croisa celui de Lia, laquelle lui fit un petit signe de la tête et un sourire confidentiel avant de poursuivre.) L’inexplicable est toujours troublant. Et si l’un de vous, messieurs, laisse échapper les mots « intuition féminine »…

— Dieu m’en préserve ! fit David d’une voix atterrée et avec un pétillement irrépressible dans son regard. Pour ma part, j’ai quelques mauvais pressentiments. Mais la situation est inexplicable uniquement parce que nous n’avons pas encore découvert le motif. Nous le trouverons. Et je pense que ce serait une grave erreur d’ignorer les prétendues apparitions d’Hathor. Nefret a raison. Il n’y avait jamais eu d’histoires de ce genre avant cette année. Cela vaut la peine de mener une enquête, en tout cas.

Ils convinrent de limiter cette expédition à eux quatre. David avait exprimé son désir d’exécuter un tableau du temple au clair de lune. Ce serait leur prétexte.

— Mais je me demande bien pourquoi nous sommes obligés de donner une raison pour sortir seuls ! grommela Ramsès. Ils s’accrochent un peu, vous ne croyez pas ? Particulièrement…

— Qu’en savez-vous ? Ils sont peut-être impatients d’être débarrassés de nous durant un moment, répliqua David avec une bonne humeur parfaite.

Après le déjeuner, Walter et lui partirent. David se rendait au Château et Walter rentrait à la maison, afin de travailler à ses traductions. Ramsès les regarda s’en aller avec une envie non dissimulée. Ils avaient trouvé un grand nombre de matériel écrit. La plupart de ces documents étaient fragmentaires mais tous d’un grand intérêt et, en ce qui le concernait du moins, aussi importants que les ruines de ce satané temple. Son père n’avait pas vraiment besoin de lui sur le chantier. Après des années à se faire rabrouer par Emerson, les ouvriers connaissaient les techniques d’excavation. Nombre d’entre eux, dont Selim, savaient lire et écrire et tenir des dossiers rigoureux. Avec Bertie, Lia, Nefret et son épouse, Emerson disposait d’une équipe plus que suffisante pour ses besoins. Ramsès décida de soulever à nouveau la question le soir. Il avait déjà parlé avec son oncle de ce projet de publier conjointement certains des textes les plus intéressants. Walter n’était guère de taille à tenir tête à Emerson – pas plus que lui ! –, mais si tous deux unissaient leurs forces, peut-être pourraient-ils présenter des arguments convaincants.

Lorsqu’ils rentrèrent à la maison cet après-midi-là, il se changea en hâte, laissa Nefret avec les enfants et alla trouver son oncle. L’une des pièces dans la nouvelle aile avait été aménagée en entrepôt et en espace de travail. Des rayonnages le long d’un mur contenaient des cartons remplis de tessons de poterie, classés et étiquetés. Des numéros à l’encre de Chine sur le côté ou au dos de chaque pièce renvoyaient au répertoire qui avait été dressé lors de leur découverte. Une longue table servait de bureau. Ramsès trouva son oncle penché sur celle-ci, son nez à moins de deux centimètres de la surface du papyrus marron et friable placé devant lui. Ses yeux allaient sans cesse du papyrus à la feuille de papier sur laquelle il copiait les signes hiératiques.

— Ah, Ramsès ! dit-il. Je suis content que vous soyez ici. Que pensez-vous de cet ensemble de signes ? Cela ressemble au mot pour « pieu d’amarrage », mais cela n’a pas de sens dans ce contexte.

Ramsès avait espéré travailler sur l’inscription qu’il avait commencé à traduire, mais il ne pouvait pas rejeter la requête de son oncle. Il prit la feuille de papier. Contrastant avec les signes fanés, parfois brisés, sur le papyrus, la copie effectuée par Walter était soignée et claire, sauf aux endroits où des blancs indiquaient des signes qu’il avait été incapable de comprendre.

— Vous avez bien avancé, murmura Ramsès en examinant rapidement les lignes. « C’est le jour où les morts parcourent la nécropole afin de… quelque chose… l’ennemi… du pieu d’amarrage » ? C’est une métaphore pour mourir, enfoncer le pieu d’amarrage. Arriver en sûreté à la contrée de l’Ouest ?

— L’ennemi du pieu d’amarrage ? répéta Walter d’un air de doute. C’est plutôt ésotérique, même pour des Égyptiens, non ?

Ils continuaient de parler de ce passage et de discuter avec une amabilité parfaite, insouciants de l’écoulement du temps, lorsque la porte s’ouvrit. C’était Nefret, venue les chercher. Ramsès s’apprêtait à s’excuser pour leur retard, mais elle dit d’une voix tendue :

— Mère veut que vous veniez tout de suite. Nous avons de la visite.

 

***

 

 

J’étais assise seule sur la terrasse. De tels moments d’intimité étaient rares ces derniers temps, et je me surpris à souhaiter égoïstement être en mesure de les savourer plus souvent. J’adore tous les membres de ma famille, mais il y a des fois où une personne au tempérament réfléchi désire être seule, et en a même besoin. Pourquoi ne partaient-ils pas pour se livrer à leurs propres occupations ? Pas constamment. Par-ci, par-là.

Je goûte en particulier cette heure de la soirée, lorsque la lumière s’étend telle une légère couche d’or sur le désert et scintille sur le fleuve au loin. Ce soir, cette vue était gâchée par la satanée automobile qu’Emerson s’obstinait à laisser devant la maison au lieu de la mettre dans l’écurie. Je ne vis la calèche que lorsqu’elle s’arrêta dans la cour et qu’un homme en descendit. Je le reconnus. Un horrible pressentiment me coupa le souffle. Au lieu de répondre à mon télégramme, il était venu en personne pour me dire… quoi ?

L’honorable Algernon Bracegirdle-Boisdragon, plus communément connu sous le nom de M. Smith, s’avança vers la porte munie de barreaux, et ses lèvres minces esquissèrent un sourire.

— Veuillez me pardonner cette intrusion, Mrs Emerson. Je suis venu un peu plus tôt dans l’après-midi, mais votre maître d’hôtel m’a informé que vous n’étiez pas là, et il a refusé de me laisser entrer pour attendre votre retour.

Même Gargery était incapable d’impressionner cet homme. Ses yeux étaient aussi perçants que des vrilles. Ils ne changèrent pas d’expression lorsqu’il sourit, et sa figure étroite garda sa mine sévère.

— Que s’est-il passé ? m’écriai-je. Est-ce que Sethos… Est-il…

— Ma chère Mrs Emerson ! Pardonnez-moi de vous alarmer ainsi. Je vous assure que votre ami est sain et sauf et ne court aucun danger immédiat. Cependant, sa… euh… situation présente est assez compliquée, et j’ai pensé qu’il serait préférable que je vous l’explique en personne. Ah, professeur ! Comme c’est bon de vous revoir.

Emerson vint se mettre à mes côtés.

— Que faites-vous ici ? demanda-t-il vivement. Est-ce que Sethos… Est-il…

— Il est sain et sauf, Emerson, dis-je.

— Oh ! Dans ce cas, pour quelle raison bouleversez-vous Mrs Emerson, bon sang ? Elle est toute pâle et elle tremble. Vous feriez bien de boire un whisky, ma chère.

— Je vous assure que mes nerfs vont parfaitement bien, Emerson. Mais peut-être que vous…

— Pourquoi cela ? Tout va bien avec les miens.

Emerson passa sa main sur son front emperlé de sueur.

— Puis-je entrer et vous expliquer ? demanda M. Smith en regardant entre les barreaux.

— Vous le pouvez, répondit Emerson.

Il déverrouilla la porte.

— Mon Dieu ! fit Smith d’un air pensif. J’ai l’impression d’avoir commis une bévue. Moi qui avais espéré vous ménager ! Pour dire la vérité…

Il s’interrompit et ses lèvres se contractèrent comme la porte d’entrée s’ouvrait. Nefret apparut, suivie d’Evelyn et de Lia. Elle s’arrêta brusquement lorsqu’elle aperçut Smith.

— Vous connaissez ma belle-fille ? dis-je. Voici Mrs Walter Emerson, et sa fille, Mrs Todros. Evelyn, Lia, puis-je vous présenter monsieur… euh… Smith. Il est venu nous donner des nouvelles de notre parent. Oublions les échanges de politesses, monsieur Smith, et racontez-nous. Je ne voudrais pas vous accuser de prolonger à dessein notre attente.

— Je vous assure que telle n’était pas mon intention, répondit M. Smith. Ma foi, en deux mots, votre parent est à l’hôpital. Ses blessures ne mettent pas sa vie en danger…

— Il est blessé ! m’exclamai-je. Comment cela s’est-il produit ?

— Je l’ignore, marmonna Smith. J’ignorais qu’il se trouvait à Jérusalem. Il n’était pas censé se trouver à Jérusalem. J’ai reçu un message écrit de lui voilà quelques jours, remis en main propre par un ruffian enturbanné, m’informant qu’il avait rencontré de petites difficultés, ainsi qu’il l’énonçait, mais qu’il sortirait de l’hôpital sous peu et viendrait ici. Ce sont les seules informations dont je dispose, mais, vous connaissant, Mrs Emerson, j’étais certain que vous seriez accourue au Caire pour faire le siège de mon bureau si vous n’aviez pas eu une réponse immédiate à votre télégramme.

— Je vous remercie, dis-je.

J’étais ravie de ce compliment, même si telle n’avait pas été l’intention de Smith.

— Mais c’est épouvantable ! s’écria Evelyn, ses yeux empreints de compassion. Quelle sorte d’hôpital peut-il y avoir à Jérusalem ?

— Il est dirigé par une communauté religieuse, des sœurs françaises, répondit Smith. Il fait l’objet d’excellents soins, je puis vous le certifier.

Aucunement décontenancé d’être le point de mire de nombreux regards peu amicaux, il s’installa à son aise dans un fauteuil, disposé à s’incruster, semblait-il. Aha, pensai-je. Apporter cette nouvelle n’avait pas été l’unique motif de sa visite.

— Resterez-vous pour le thé, monsieur Smith ? m’enquis-je.

— Je vous remercie, Mrs Emerson, ce sera avec le plus vif plaisir.

Nous échangeâmes des sourires tout aussi mensongers.

— Je vais voir ce qui retient les autres, dis-je en me dirigeant vers la porte.

Emerson me suivit.

— Peabody ! (Sa tentative pour chuchoter fit bourdonner mes oreilles.) Avez-vous perdu la tête ? Ce salopard ne serait pas aussi aimable s’il ne voulait pas obtenir quelque chose de nous. S’il croit qu’il peut recruter Ramsès pour une autre mission…

Je l’entraînai à l’intérieur de la maison.

— Chut ! La guerre est finie, Emerson.

— Mais Sethos continue de se mêler de Dieu sait quoi ! Si mon frère, dit Emerson en roulant les « r » violemment, s’est à nouveau mis dans de beaux draps, d’où il espère que Ramsès va le tirer…

— Il ne ferait pas cela.

— Vous défendez toujours ce… cet homme ! cria Emerson.

Même lorsqu’il s’emportait, il évitait d’utiliser son épithète préférée pour désigner son frère illégitime.

— Mère, dit Nefret en tirant sur ma manche. Faites-le partir !

— J’ai mes raisons de vouloir que Smith reste, répondis-je. Je vous les exposerai plus tard. Oh, vous voilà, Fatima. Merci d’avoir patienté. Vous pouvez apporter le thé maintenant, sans vouloir abuser de votre gentillesse. Nefret, pourriez-vous aller chercher Walter, Ramsès et David, et leur dire de venir ici ? Amenez également les enfants. Tous les enfants.

L’expression de Smith, lorsque le reste de la famille fit irruption sur la véranda, me procura une grande satisfaction malicieuse. Les trois plus jeunes des enfants filèrent tels des projectiles, allèrent en trombe d’un adulte à un autre, donnèrent des baisers et des salutations de leurs voix douces, grêles, et extrêmement perçantes. Pour finir, ils se tinrent en rang devant Smith, lequel avait l’air hagard d’un homme acculé par des chiens retournés à l’état sauvage.

— Qui êtes-vous ? demanda Evvie.

— Voici monsieur Smith, répliquai-je. Dis bonjour gentiment.

Ils continuèrent de le regarder fixement.

— Bonjour, petite fille, dit Smith.

Il avança la main pour donner une légère tape sur la tête d’Evvie.

— Je n’aime pas que les gens fassent ça, déclara-t-elle en repoussant sa main. Davy non plus. Et Charla mord.

— Allons, les enfants, ça suffit. (Ramsès saisit les siens.) Allez voir maman. Laissez le monsieur tranquille.

— Ces enfants sont charmants, déclara Smith avec un sourire forcé. Les vôtres ?

— Deux d’entre eux. Dont celui qui mord.

— Cela ne me surprend pas, murmura Smith. Et ce doit être monsieur Todros. Un plaisir de faire enfin votre connaissance.

David hocha la tête sans répondre. Ses yeux noirs avaient un regard glacial. Nefret devait lui avoir appris l’identité du visiteur.

— Voici mon oncle, monsieur Walter Emerson, dit Ramsès. Je ferais les présentations dans les règles si je savais quel nom vous utilisez couramment.

Un sourire pincé, fugace, accueillit cette moquerie.

— Smith fera l’affaire. Enchanté, monsieur Emerson.

— Et je suis Sennia Emerson, dit cette jeune personne en tenant ses jupes et en faisant une révérence. Je présume que vous avez entendu parler de moi.

— Oui… tout à fait… euh… comment allez-vous ?

— Très bien, merci. Et vous ?

— Assieds-toi, Sennia, commanda Ramsès d’un ton quelque peu sévère. Un gentleman reste debout jusqu’à ce que toutes les dames présentes se soient assises.

En fait, cela s’adressait à Nefret, qui serrait les jumeaux contre elle telle Niobé essayant de protéger ses enfants des flèches mortelles d’Apollon et de Diane. Elle rougit et se laissa tomber sur le canapé à côté de Lia.

— Du thé, tout le monde ? demandai-je.

Ramsès s’approcha pour prendre les tasses tandis que je les remplissais.

— Je suppose que vous avez une raison d’agir ainsi ? s’enquit-il à voix basse.

— J’ai toujours au moins une raison. Maintenant qu’il a été décontenancé par les chers bambins, je vais peut-être réussir à lui soutirer quelques réponses sensées.

Après avoir dispensé la boisson réconfortante et demandé à Sennia de faire passer les petits gâteaux, je m’éclaircis la voix.

— M. Smith est venu nous apporter des nouvelles de notre parent. Il a été souffrant, mais il se rétablit.

— La malaria, à nouveau ? demanda Nefret, l’intérêt professionnel l’emportant sur l’instinct maternel protecteur.

— Non. Il a reçu certaines blessures. Rien de grave.

Walter avait réfléchi à tout cela. Lorsque nous lui avions appris les activités de Sethos durant la guerre, nous n’avions pas mentionné Smith, mais son esprit analytique avait été prompt à faire le rapprochement.

— Quel est son nom ?

— Je vous demande pardon ?

La vengeance d'Hathor
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